Esquisses sous un ciel bleu

 

Au fond noir de l'eau sous la montagne, étrangement, se disperse des couleurs vives pour l'oeil ancien. Le passage vers un peu de clarté est une énigme, et c'est un haut fait que de vouloir la dépasser. Du repos des dernières vagues, il n'en sortira rien. Et ton émaille courtoise, parfois, se laisse toucher. Marée chargée de pauvres morts, odeur décevante qui monte du ventre de la mer, avec des chants d'avenir on récupère tout ce qu'on peut des vies d'avant.

 

Par terre, tu vois, il n'y a que des sondes-ornières, aux contours suintant de fleurs brillantes, à l'intérieur gonflé d'eau propre, prête à se boire. Facile de dire ce que l'on voit quand ce qu'on voit est dans la nuit. Il y a des longes au ciel qui éclatent des miracles de lumière, au bout desquelles il est ardu de voir ce qui s'y trame. S'agit-il d'un char sans montures ou d'un cheval sans bride ? La réponse se perd dans des parfums de fruits. La montagne est un amas de phrases sans fin qui s'organisent, cahin-caha, avec les fracas du temps.

 


 

Il agitait ses drapeaux au-dessus de la ville, comme pour prévenir l'arrivée d'un avion. Mais son langage à lui était autre et au lieu d'un avion, ce sont des pigeons blancs qui arrivaient en battant des ailes frénétiquement. C'était l'heure de manger. Ils traversaient les vapeurs des appartements, évitaient adroitement les fils des antennes satellites et venaient se poser sur les petits perchoirs qui surgissaient ça et là du corps volumineux et coloré d'un pigeonnier. Des graines de maïs gras les attendaient à l'intérieur et ils s'en nourrissaient comme si leur vie en dépendait, et quelque part, c'était peut-être le cas : le sens de leur vie était inévitablement rattachée à leur corpulence et donc, de ce fait, dépendait de leur alimentation. Mais c'est un peu idiot de forcer du sens existentiel à des pigeons qui, eux, s'en foutent royalement, à mon avis, alors ils sont sûrement bien contents de pouvoir s'engraisser comme s'ils allaient mourir le lendemain. Ils volaient au-dessus des derniers rayons du soleil couchant, des éclairs blancs s'échappaient de leurs ailes. Leurs plumes se frottaient et émettaient un bruit étouffé, un bruit de draps qu'on enroule autour d'un visage riant. Il y avait quelque chose de ridiculement beau dans leurs roucoulements, un signe incertain de la naïveté des anges, et on se mettait à rêver d'éternité, sans même le reconnaître, à la vue de leur bec orangé.

 

La semaine prochaine, certains seront digérés et leurs restes orneront la vase des égouts. C'est notre façon bien à nous, j'imagine, de les remercier d'exister.

 


 

Elle est assise sur la petite fleur, la petite libellule, elle est assise et se touche les fesses (si c'est bien ses fesses qu'elle se touche, moi je ne sais pas, c'est compliqué l'anatomie d'une libellule), elle vrombille comme une folle, ça fait plaisir de la voir se faire plaisir, c'est pas tous les jours, avec les gaz à effet de serre et tout, elles rigolent plus tous les jours comme avant, les libellules, alors là, c'est vrai, de la voir comme ça vrombiller de tout son soûl, ça fait plaisir, et en plus elle fait des bruits, je crois, ou c'est le vent dans les hautes herbes, je ne sais plus, en tout cas il y a un bruit, et peut-être que c'est la libellule, en tout cas moi j'aime bien me dire que c'est la libellule, ça me rend heureux, et aussi, ça me rend la vie moins compliquée (déjà que l'anatomie du corps d'une libellule c'est pas simple, j'aimerais mieux ne pas en rajouter, j'ai déjà bien assez à penser), et les bruits qu'elle fait, je crois, c'est des bruits d'amour, c'est pour nous dire qu'elle nous aime, quoi, ou qu'elle va partir bientôt, d'ailleurs elle décolle là, enfin elle fait ce truc qu'elle fait des fois, à voler sur place et à nous faire languir, mais elle part vraiment je crois, ah oui, elle part, ça y est, c'est pour de bon. Adieu.